La Blackjackothèque - Rubrique papier - Quelques questions à... Monsieur G
Qui est "Monsieur G" ?
« Je me présente sous le pseudonyme "Monsieur G" afin de conserver l’anonymat face aux casinos qui sont toujours à l’affût des joueurs de niveau professionnel pour leur restreindre l’accès aux tables de jeu. Les équipes et autres joueurs avec qui j’ai joué ou que j’ai fréquenté au fil des années me reconnaissent sous le pseudo "G Man". »
Depuis quand jouez vous au Blackjack ?
« J’ai commencé à m’intéresser au Blackjack vers 1992 mais ce n’est qu’en 1994 que j’ai vraiment débuté le jeu de façon sérieuse, c’est-à-dire en y jouant uniquement avec un avantage théorique à long terme. J’ai alors abandonné le jeu d’échecs où j’avais atteint le niveau d’expert pour me concentrer sur le Blackjack. J’ai joué toutes mes années d’apprentissage en solo (sauf une très courte expérience en équipe de deux), passant plusieurs mois à Las Vegas et dans le reste des États-Unis dans les années qui suivirent. »
Comment et pourquoi avez-vous intégré l’équipe du MIT ?
« Vers le début des années 2000, l’équipe du MIT telle qu’elle était dans ces jours de gloire n’arrivait plus vraiment à retrouver son rythme de croisière à cause de trop nombreux "barring" (ndlr : bannissement d’un casino) et tentait de renouveler quelques-uns de ces visages à travers une restructuration partielle du groupe.
À cette époque, je jouais avec un petit groupe d’Américains et le directeur de notre équipe était un ami de l’ineffable John Chang, l’âme de l’équipe MIT. Lorsque John indiqua à ce dernier qu’il recherchait possiblement quelques nouveaux visages, je fus aussitôt mis en contact. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’eu lieu notre première rencontre lors du célèbre "Blackjack Ball" donné annuellement par Max Rubin à Las Vegas et où les joueurs de Blackjack invités représentent la crème dans ce domaine.
Suite à cette rencontre, les choses se sont concrétisés lentement mais sûrement. J’ai été invité au mois de Mars suivant à passer quelques jours à Boston avec un manager de l’équipe qui a procédé aux divers tests que l’on nomme "checkout". Après le premier week-end de tests, j’ai été autorisé à débuter les opérations avec le groupe.
Lorsque vous êtes passionné par le Blackjack, l’équipe du MIT représente le summum. C’est un peu comme de jouer avec les Yankees de New York au Baseball ou les Canadiens de Montréal au Hockey. »
En quoi consistait votre rôle ?
« Nous utilisions majoritairement à l’époque des "Gorilla Big Players" et des "Controlers". J’étais un contrôleur. Je ne voulais pas jouer le rôle de GBP qui m’aurait exposé davantage et écourté ma carrière. Le poste de contrôleur est fascinant, vous indiquez au GBP à quel moment se joindre à la table, vous lui indiquez combien miser, à quel moment dévier de la stratégie de base ainsi que le moment auquel il doit quitter. Il est en quelque sorte votre pantin, il est l’extension de vos bras et de votre cerveau sur la table de jeu »
Combien étiez-vous ?
« Nous étions environ une douzaine de joueurs. Quatre agissaient à titre de GBP et huit agissaient à titre de contrôleur. Pour un weekend de jeu typique nous étions habituellement entre quatre et six au total. »
Selon vous, est-ce que compter c’est tricher ?
« Je n’ai jamais compris que cette question puisse même être posée ! Lorsque vous comptez les cartes, vous ne faites qu’utiliser votre cerveau pour tenter de battre la maison à un jeu qu’elle vous propose. De plus, vous le faites sans accessoires. Existe-t-il un seul pays dans le monde (sauf la Corée-du-Nord) où penser est un crime ? Ceci étant dit, ce n’est pas une opinion personnelle mais bien la réponse donnée par des juges dans certaines causes jugées aux États-Unis. L’information disponible à la table est accessible à tous les joueurs présents et ne constitue en aucun cas une information privilégiée. Il revient donc à chacun de décider comment utiliser cette information. »
À quelle fréquence est-ce que vous jouiez ?
« Nous tentions, en tant qu’équipe, d’être en action chaque week-end. Pour un joueur cela se traduisait souvent par une sortie tous les deux semaines. Puis vint le désastreux 11 Septembre 2001. À cette période nous avons dû cesser nos opérations pour quelque dix ou douze semaines à cause de toutes les complications inhérentes aux voyages en avions aux États-Unis. Il n’était vraiment plus simple de transporter un bankroll de $100 000 en liquide entre Boston et Las Vegas ou toute autre destination. Les opérations réelles du MIT ont cessé en 2002. »
Combien avez vous gagné au maximum en une soirée ?
« Je n’ai pas le souvenir d’un résultat extraordinaire en une seule soirée mais je me souviens de week-end où nous avions gagné plus de $100 000 en jouant avec deux groupes de trois joueurs. J’ai cependant en mémoire une main exceptionnelle où nous faisions du "Shuffle Tracking" (ndlr : suivi du mélange des cartes) dans un casino fort connu de Las Vegas.
Notre "Big player" avait déjà amassé une somme importante et le chef de table avait fait sa demande de "remplissage" (amener des jetons additionnels de la banque du casino vers la table de jeu). Notre BP jouait deux mains de $2000 qui étaient devenues cinq mises de $2000 après les partages et doubles.
Au moment où le croupier venait tout juste de défoncer, l’agent de sécurité arrivait avec le remplissage. Le chef lui dit alors : "C’est bien mon remplissage de $10 000 ? Très bien, donnez-le directement à Monsieur !" La situation était surréaliste.
Quel sentiment ressentiez-vous à la table ?
« Comme dans toute chose, les émotions sont plus fortes au commencement. Avec le temps et l’expérience, il est beaucoup plus facile de maîtriser ses émotions. Cela n’empêche pas d’être heureux lorsque vous gagnez et de ressentir une émotion négative lorsque vous perdez mais avec le temps vous apprenez à vivre sereinement, avec les résultats du jeu. Vous arrivez à perdre des sommes de $30 000 ou $40 000 et à vous coucher sans que l’insomnie ne s’empare de vous. À la fin, ce n’est qu’un jeu dans lequel vous savez que vous avez l’avantage. Le reste n’est que variance et question de temps. »
Vous est-il arrivé d’avoir des ennuis avec les casinos ?
« De sérieux ennuis, non jamais. Comme beaucoup de compteurs jouant à des niveaux de mise importants, il m’est arrivé d’être "barré" d’un casino ou d’un groupe de casinos. Certain des joueurs de notre équipe ont aussi à quelques occasions reçu des menaces verbales de représailles physiques mais jamais à ma connaissance rien de concret… heureusement ! »
Êtes que vous êtes à l’abri financièrement grâce au Blackjack aujourd’hui ?
« Je gagne principalement ma vie dans un emploi stable pour lequel je travaille quatre jours semaine et qui peut laisser place à d’autres passions, comme le Blackjack. Les histoires de cinéma où les joueurs empilent des centaines de milliers de dollars dans le plafond de leur chambre ne sont, rien d’autre que… du cinéma ! Par exemple, pour une équipe bien financée de vingt joueurs qui amasserait $1 000 000 net en une année, environ $400 000 reviendrait aux joueurs. Ce qui procurerait à chacun un revenu annuel de $20 000 et en bonus, les voyages ainsi que les traitements exceptionnels offerts par les casinos. Certes une vie intéressante mais une mauvaise façon de devenir riche. Il est souvent fort intéressant de participer aussi en tant qu’investisseur plutôt que seulement au niveau du jeu. Joindre les deux options est sans aucun doute une bonne solution. »
Aujourd’hui vous arrive-t-il encore de fréquenter les casinos ?
« Je fréquente encore les casinos. Depuis mon expérience avec le MIT, j’ai aussi joué avec un autre groupe qui était actif mondialement et qui ne fût jamais identifié. Malheureusement, les rendements annuels étaient en dessous des anticipations des investisseurs, ce qui mit fin au projet. Cependant ces résultats étaient au-dessus des rendements boursiers avec un risque inférieur et calculable... »
Quels sont vos projets ?
« Je travaille présentement à un projet qui n’est pas figé dans le temps mais qui serait sans aucun doute une grande réalisation dans le domaine du Blackjack. Un projet pour lequel un financement important est requis et difficile à trouver mais qui hisserait ces participants au niveau des légendes qui composent aujourd’hui le monde du Blackjack. Un investisseur se poindra un jour, il suffît d’être patient… »
Interview publiée en novembre 2009