La Blackjackothèque - Rubrique papier - Quelques questions à... Ken Uston
Certains compteurs croient que vous êtes personnellement responsable de la détérioration des conditions de jeu à Atlantic City. Ils croient que la vie de compteur serait bien plus facile aujourd'hui si Uston n'était pas débarqué avec ses équipes, sa publicité et particulièrement ses poursuites envers les casinos. Croyez-vous que votre « vendetta » personnelle contre les casinos ait fait mal aux compteurs et ressentez-vous une certaine responsabilité face au fait que la partie soit devenue plus difficile pour les joueurs ?
Je m'attendais à cette question. Pour y répondre, il faut reculer bien avant Atlantic City. Les joueurs qui se plaignent sont habituellement ceux qui ont débuté leur carrière au New Jersey. Pas tous, il y en a aussi provenant du Nevada qui croient que j'ai ruiné la partie avec toute cette publicité…mais ce qu'ils oublient, c'est que lorsque nous avons commencé à jouer en 1973, ils nous traitaient comme des criminels. Il est certain que nous faisions beaucoup d'argent et que nous mettions beaucoup d'argent sur les tables en plaçant de très hautes mises, mais nous étions tout de même traités comme des escrocs. Ce n'était pas la gentille et polie atmosphère qui règne aujourd'hui à Atlantic City et au Nevada. Nous étions suivis. Nous étions trainés dans les arrières-salles. J'ai eu le visage brisé et ai dû me rendre à l'hôpital parce qu'un chef de table m'avait reconnue. À ce jour, il y a encore des endroits insensibles dans ma bouche. Nous étions traités sans aucune forme de respect.
À l'époque, j'étais persuadé qu'ils avaient tord et probablement qu'il y avait un peu de vengeance aussi. J'ai donc entamé ces recours au Nevada puis, nous sommes allées à Atlantic City et avons rencontré les mêmes situations. Avec les bonnes règles mises en place au New Jersey, c'était la débâcle. Les compteurs étaient les pires radins que j'ai vus. Ils ne donnaient aucun pourboire, grimaçaient, riaient des croupiers et des chefs, étalaient leur argent, perturbaient le jeu, sautaient partout… c'était terrible. Nos joueurs étaient des gentlemen. L'équipe Tchèque était hautaine à ces débuts mais nous avons eu une réunion avec eux et leur avons dit « Plus les casinos vous détesteront et plus cette situation avantageuse sera ruinée pour nous tous ».
Croyez-vous que même sans votre présence à Atlantic City, les casinos auraient tout de même fait la vie dure à ces compteurs ?
Oui. Je n'avais pas un grand amour pour les compteurs qui agissaient de cette façon. J'en parle dans « One Third of a Shoe ». Avarice vs avidité. L'avarice des casinos vs l'avidité des compteurs. C'est exactement ce que c'était. Deux groupes de gens très avides de la même chose. Alors éventuellement et de façon injuste, nous fîmes barrés. Ma première réaction fût, «nous voilà encore avec cette merde et je vais les poursuivre».
Certaines personnes croient que ces poursuites n'avaient qu'une valeur publicitaire pour vous.
Dès que je vais à la cour ou que je suis face à ces audiences de la Commission, j'ai ce sentiment terrible d'être oppressé face à tous ces avocats travaillant pour les casinos et tous ces représentants des casinos. Il y a ces membres de la Commission à moitié competants et dont vous ne savez jamais vraiment s'ils sont objectifs ou pas. Vous avez ce sentiment d'être démuni face à eux. Si vous avez vu le film « The Verdict » ou un autre où c'est l'histoire de David contre Goliath, vous savez que vous n'avez aucune chance. J'ai perdu ma cause contre la Commission puis elle fût envoyée à la cour des petites instances et puis retournée à la Commission encore…tout ce temps, le compteur tourne et cela me coûte énormément. Rendu à ce point, j'étais tellement commis que j'ai dit : peux importe ce que cela coûtera, j'irai jusqu'au bout. Je me suis trompé et nous avons perdu devant la Commission. J'avais une proposition que je croyais juste et qui est pratiquement ce qu'ils ont mis en place aujourd'hui à l'exception du battage « au gré ». C'était une proposition honnête qui aurait permit au compteur professionnel, celui qui peut jouer 500 heures annuellement d'avoir un avantage alors que le compteur occasionnel, ce qui inclus 99% des compteurs, auraient échoué.
En Décembre 1979, les casinos d'Atlantic City ont encore une fois tenté l'expérience du «non-barrage» et votre équipe a gagné beaucoup d'argent. Les casinos se sont alors servis de la réussite de votre équipe pour remettre en place la politique des barrages. N'était-ce pas juste selon la perspective des casinos ?
C'est la période au cours de laquelle nous avons gagné $50 000 en dix jours. Nous étions bien du côté droit de la courbe. Nous ne méritions pas d'être là. Mark Estes qui s'occupait de nos calculs avait estimé que nous étions à environ trois écarts types du côté droit de la courbe. C'était absurde tellement nous étions chanceux….C'était formidable, un rêve. Les autres avaient gagné environ $300. Nous avions l'habitude d'avoir des rencontres avec ces autres joueurs car nous voulions que l'expérience continue, c'était intéressant. Il y avait très peu de compteurs comparativement à Janvier car la partie était plus difficile. Quelques équipes étaient revenues et certaines avaient perdu leur banque. L'équipe d'Howie Grossman perdit $30 000 à $40 000. Les Tchèques étaient dans le trou. Ils perdaient $100 000 au début mais se sont lentement sorti du trou pour terminer avec $100 000 ou $150 000. Les casinos ont directement menti à la Commission. Ils ont dit que nous étions responsables d'une perte pour eux de plus de $4 millions. Ils avaient une unité spéciale au Ceasar's Palace, et une des filles de l'unité que je connais depuis longtemps (elle travaille au Claridge maintenant) m'a dit qu'elle avait pour instruction de mettre sur la liste des compteurs tous les clients qui sortaient du casino avec un gain important. Ils étaient absolument avisés de mentir à la Commission.
Comment avez-vous finalement gagné votre cause ?
Nous sommes allés à la Cour d'Appel. Une année et demie plus tard nous avons gagné. Puis, les casinos ont porté la cause devant la Cour Suprême du New Jersey et nous avons gagné. Après la décision de la Cour Suprême il y eut une autre audience devant la Commission, vous auriez dû voir les représentants des casinos... Ils arrivaient en limousine ou même en hélicoptère, il y avait des gens de Suède ou d'Amsterdam pour témoigner. Un spectacle d'un million de dollars pour témoigner en faveur des casinos et personne ne témoignant pour les compteurs, c'était drôle. Ils avaient cet immense rapport de préparé et moi j'avais passé la nuit à faire la fête. Lorsque je les ai vus avec leurs limousines, j'ai décidé que j'arriverais en limousine aussi, c'était tellement ridicule. J'ai pris avec moi une machine à écrire et me suis dirigé au Howard Johnson à environ 1 kilomètre du lieu de l'audience. Je n'avais encore aucune idée de ce que j'allais écrire.
Une fois au Howard Johnson, je me suis installé à l'extérieur des toilette hommes, sur une chaise, et ai tapé une liste de propositions. Je n'avais qu'une feuille de laquelle Frank Dees fit une copie Xerox pour moi et nous avons remis l'originale à la Commission. C'était la version des compteurs : une feuille de papier préparée en 45 minutes. Je pensais que nous allions perdre mais nous avons gagné, en grande partie je pense, parce que je me suis tenu debout et ai apparu objectif.
Il ne vous est jamais apparu que vous puissiez nuire aux compteurs dans votre combat pour éliminer les barrages ? Aviez-vous le sentiment que vous agissiez en ayant à l'esprit les meilleurs intérêts des compteurs ?
Je n'essayais pas de créer une situation où la Commission mettrait en place des règles telles qu'un groupe de compteurs n'aurait qu'à entrer dans les casinos et en ressortir avec beaucoup d'argent. D'un autre côté, bon sang, j'avais le sentiment que ce serait très excitant de voir les règles construites de façon à ce que les très bons joueurs ou un groupe de bons joueurs puissent ressortir gagnant sur le long terme. C'était peut-être naïf de ma part car il existait à cette époque de très grosses banques en circulation. Nous parlions alors de $400 000 pour les Tchèques uniquement. Je n'avais aucun plan de former une banque d'un demi-million de dollars et d'investir les casinos avec un groupe de 300 joueurs. Je ne dis pas que je ne l'aurais pas fait si l'occasion s'était présentée, j'imagine que j'aurais fait cela si tout le monde était devenu fou dans leurs agissements. Souvenez-vous aussi que je ne pourrai jamais dire que je savais exactement ce que je faisais depuis le jour un. J'ai suivi les tendances et certaines choses, j'ai fait des erreurs, j'ai changé ma vision des choses, j'ai réagi à ce qui se passait autour de moi. Je ne peux pas vraiment dire que j'essayais nécessairement de représenter les meilleurs intérêts des compteurs en général. Je menais ce combat qui me faisait suer. Chaque fois que j'entrais aux audiences de la Commission, je me fâchais de voir Joel Sterns qui est un plein de merde. Cet être est tellement mensonger qu'il parvenait à faire croire des absurdités à la Commission. Il m'attaquait personnellement et dès qu'une occasion se présentait, il n'hésitait pas à me traiter de profiteur et d'autres noms du même genre. À la fin des audiences il venait vers moi pour me dire « rien de personnel Ken, cela fait juste partie de la cause ». C'est un homme très charmant et c'est probablement pour cette raison qu'il est un des meilleurs avocats du New Jersey. Enfin, ma suggestion était pratiquement ce que les casinos font aujourd'hui à une exception près, ils ne devaient pas avoir le droit de battre les cartes « au gré ». J'avais le sentiment profond que s'ils avaient suivi mes recommandations, les très bons joueurs pourraient dégager un avantage sur la maison. Je me suis battu pour qu'ils ne changent pas les règles.
Planifiez-vous de continuer vos poursuites au Nevada ? Le Nevada est-il bien différent du New Jersey à cet égard ?
Plusieurs personnes ne se souviennent pas du temps où au Nevada nous étions des criminels et nous étions poursuivis, frappés et battus. Je me souviens de Mark Estes qui fût brutalisé dans l'arrière-chambre du Hilton et qui eut gain de cause devant la cour alors que Coombs le représentait. Les gens ne se souviennent pas de ces choses. Je me souviens de ces voyous qui sont encore présents, des êtres préhistoriques. Ils vous prennent pour de la merde, s'ils ne veulent pas de vous dans leur casino, ils vous mettent à la porte sans autre explication. Je réagis mal à ces situations car je crois qu'elles sont injustes. Quel est le problème au Nevada ? Certains pensent que je dois continuer dans cette poursuite, je ne le sais pas.
Certains joueurs éduqués deviennent fâchés lorsque de l'information sensible est publiée pour la première fois. Vous avez probablement été fort critiqué suite à la parution du chapitre traitant du front loading dans Million Dollar Blackjack.
Oh, certainement…
En tant qu'auteur présentant de l'information au public, quels sont vos sentiments lorsque l'on vous accuse de trahir les secrets des joueurs professionnels de Blackjack ?
Plusieurs des informations sur le front loading et le spooking proviennent de proches amis qui ont développé ces techniques. Ce sont des techniques que nous avons nous-même développé. Je ne dis pas que d'autres groupes n'ont pas utilisés d'autres techniques mais lorsque vous parlez de front loading, spooking et de first basing, ce sont des techniques que nos équipes un, deux et trois ont développé ou encore mon ami Val. Ce dernier a fait beaucoup d'argent au Blackjack en utilisant le hole card play. Il aime ce type de méthode et n'aime pas jouer de façon régulière. Je n'ai que rarement utilisé le hole card play. C'est une formidable chose de savoir ce qu'est la carte cachée à chacun des tours et de pouvoir miser $500 ou $1000 à chaque main sachant que vous avez un avantage de 2% ( c'est selon la carte cachée). Lorsque j'ai écrit Million Dollar Blackjack j'ai hésité longtemps avant de parler de ces techniques. Stan Roberts avait lu le chapitre sur le first basing trois ans avant qu'il ne soit publié et m'avait téléphoné en salivant. Il voulait vendre la technique $500 et mettre en place une équipe de front loading. Il avait toutes sortes d'idées du genre mais j'ai dû mettre un stop puisque Val et quelques amis étaient toujours dans les casinos à utiliser ces techniques. Je savais aussi que d'autres utilisaient le front loading, il existe encore une grande équipe utilisant cette technique avec laquelle je n'ai jamais été associé. Je connaissais la personne et il me connaissait aussi bien que nous ne nous aimions pas particulièrement. Je ne ressentais aucune allégeance envers son groupe, le mien étant le seul groupe pour lequel je ressentais une allégeance. J'ai donc retenu l'information 3 ans et à sa publication, plus personne de notre groupe n'utilisait cette technique. Nous étions tous sur autre chose, spéculation foncière, etc. Je ne sais pas s'il y avait d'autres équipes utilisant ces techniques mais je me sentais justifié lors de leurs publications. J'avais mentionné le front loading mais pas le first basing car je savais que certains joueurs l'employaient avec succès. Cependant, un ancien membre d'une de mes équipes écrivit quelque chose à Wong sur le sujet et Wong écrivit sur le first basing environ une année avant que ne soit publié mon livre. C'est maintenant une connaissance fort répandue.
La grande majorité des compteurs de cartes réputés incluant les autres auteurs de Blackjack sont unanimes à louanger l'œuvre monumentale de Million Dollar Blackjack. La seule portion de votre livre ayant été critiquée est selon moi celle de vos recommandations finales sur d'autres auteurs ainsi que de leurs systèmes. Une rumeur veut que la seule raison pour laquelle vous n'avez pas mentionné Stanford Wong dans votre liste provienne de la pression exercée par votre éditeur, Stan Sludikoff. Ce dernier, comme nous le savons tous, est en querelle depuis longtemps avec Wong. D'un autre côté, vous recommandez hautement le livre de Stanley Roberts (alias Sludikoff), Winning Blackjack. Croyez-vous que vos recommandations dans Million Dollar Blackjack soient le reflet d'une opinion objective où avez-vous été influencé par les préjugés et préjudices de votre éditeur ?
Lorsque j'ai fait la liste, elle ne contenait au début que 4 ou 5 titres. Il y avait Thorp, Humble, Revere et je pense Julian Braun. Peut-être un autre, je ne me souviens plus. Il n'y avait donc pas tellement de livres sur cette liste. Stanley m'a donc pressé d'ajouter d'autres noms à cette liste. Par exemple, j'ai laissé Rouge et Noir de côté que je trouvais correct sans toutefois être parmi les 5 meilleurs. Stan m'a dit : tu dois le mettre, après tout, il va vendre ce livre et bla bla bla. Il ne m'a pas forcé la main mais disons qu'il me l'a fortement suggéré. Il n'aurait toutefois pas mis quelque chose contre mon gré, mais bien sûr, je devais aussi mettre le sien. J'ai mis son bouquin pour lui faire plaisir, pour ne pas le vexé, mais je ne pense pas que ce livre mérite d'être là. Maintenant, lorsque je regarde mes motivations pour Wong, je ne pense pas que Winning Without Counting soit un livre basé sur le jeu professionnel. Il y a plusieurs choses dans ce livre qui y sont pour des raisons commerciales. L'idée de mettre autant d'emphase sur les «warps» que nous avons trouvés et essayés ne fonctionne simplement pas. Je peux me tromper ici puisque Jerry Patterson affirme avoir employé cette méthode avec succès. Dans notre cas, chaque fois que nous avons essayé cette méthode nous avons perdu plus que nous aurions gagné car il ne suffit que de 2 ou 3 erreurs par heure pour tout foutre en l'air. À l'exception de cette aventure à Séoul en Corée mentionnée dans le livre (M$B) où les cartes étaient ridiculement tordues. Il s'agissait de Single Deck et les cartes n'étaient changées qu'une fois par jour alors les gars ont gagné $35 000 ou $65 000, je ne me souviens plus exactement. En ce qui concerne Professionnal Blackjack, vous devez vous souvenir que la première fois où j'ai vu ce livre, j'étais en quelque sorte en compétition avec Wong pour l'écriture de livres. Nous écrivions tous deux des livres de Blackjack. J'avais l'impression qu'il me narguait et j'essayais de répondre de bonne foi. Il m'avait écrit une lettre disant qu'il terminerait mon abonnement gratuit à son Newsletter car je n'en parlais pas assez. Je ne me souviens plus si ma décision de ne pas inclure son livre était simplement basée sur le fait que ce dernier était une longue série de chartes incluant deux très bons systèmes de comptages, comme le Halves Count qui est très bon, ou si j'avais encore trop de ressentiment et de rivalité qui m'animait.
Alors cela n'avait rien à voir avec la pression de l'éditeur ?
Non, par contre, j'imagine que si je l'avais inclus, Stan aurait sauté au plafond. Vous savez comment il est, il devient très émotionnel dans ces cas et vous pouvez aussi l'écrire puisque je lui ai moi-même dit : «Stanley, pourquoi ne roules-tu pas tes affaires sur l'amour et l'amitié plutôt que sur la suspicion et les poursuites judiciaires ? tu réussirais bien mieux». Mais il aime le combat, il est un dur en affaires.
J'ai entendu différentes versions d'une drôle d'histoire à votre sujet dont j'aimerais connaître les détails, s'il y en a. Je pense que les joueurs de Blackjack racontent les histoires de Ken Uston comme les joueurs de billard racontent celles de Minnesota Fats.
J'en entends plusieurs. Je ne compte plus les gens qui affirment être d'anciens coéquipiers et que je ne connais même pas !
L'histoire est la suivante : dans un ascenseur de stationnement vous avez tiré à pile ou face et avez perdu beaucoup d'argent. Vous auriez essayé de convaincre vos coéquipiers de payer pour votre perte à même la banque de l'équipe puisque, assuriez-vous, si vous aviez gagné, le gain aurait été ajouté à la banque.
C'est absolument vrai.
Peut-être pouvez-vous nous donner plus de détails ? Vous avez dit ne jamais « gamber », que vous êtes un investisseur et que vous ne risquez de l'argent qu'en situation d'espérance positive. Comment justifiez-vous un tel jeu comme ayant une espérance positive?
Je jouais au Holiday Inn. Je me souviens être descendu sur la « strip » me demandant « où vais-je jouer?» Je me sentais assez paranoïaque à cette époque dû au fait que je ne contribuais pas aux résultats de l'équipe comme je l'aurais voulu étant donné que je ne pouvais plus jouer où bon me semblait. Je suis donc entré au Holiday pour jouer à une table de Single Deck. Vous savez, celle qui est rouge et pas verte. Je ne me souviens plus si je gagnais ou perdais mais il y avait ce fou en troisième base, un gros gars. Il joue et il parle beaucoup, et a un certain moment, il est clair qu'il me reconnaît alors que les employés ne m'ont toujours pas reconnu. À un moment donné, il s'approche et s'assoit à mes côtés. Il lance alors une pièce de monnaie et la place sous un dollar en papier. Il me dit que si je devine le bon côté de la pièce, il me donnera $500. Si je me trompe, je lui en donne $100. Il est fou! Il vient de perdre environ $2000 à la table de Blackjack et il semble simplement lancer son argent. Tout à coup, je me dis que je suis ici à compter les cartes pour un avantage de 2% alors que ce gars m'offre un avantage de…peu importe le pourcentage exact. Je l'ai d'abord regardé et dis : «Quoi?» Il réitère et je lui dis, «d'accord, face!». J'ai perdu et lui ai donné $100. C'est un arnaqueur et il est très bon, il fait cela pour vivre. Son problème c'est qu'il est aussi un gambler invétéré. Il me dit, et je le crois, qu'il a amassé $200 000 ou $300 000 en faisant cela dans différents endroits , particulièrement aux pistes de courses. Enfin, nous avons quitté la table et nous nous sommes dirigés vers le bar pour y prendre un verre, puis sommes revenu au Jockey Club. Nous voulions aller au Aladdin, mais à la dernière minute, je l'ai invité au Jockey Club. Nous nous sommes installé au bar, puis il m'a dit : «Ken, je ne veux plus le refaire, tu es un trop bon gars». Naturellement il m'attire subtilement dans son piège. Le bar est rempli de gens que je connais, tous. Il ne peut pas monter un coup ici car toutes ces personnes sont de très bonnes connaissances. Soudainement il dit à quelqu'un dans le bar : «Pourquoi ne lancez-vous pas une pièce? Si vous gagnez, je donne $800 à Kenny et si vous perdez, Kenny doit me donner $100». Je me dis, «il est fou», mais je veux retrouver mon $100 perdu…puis je perds encore et il m'offre encore de meilleures chances jusqu'au point où je perds un peu moins de $10 000 aux mains de cet homme, $9 400 si ma mémoire est bonne. Perdre $9 400 n'est pas une situation dramatique lorsque vous jouez sur une banque de $100 000. Donc, je dois lui verser ces $9 400 et pour ce faire, je dois me rendre en face du Jockey Club pour avoir accès à mon coffre de sureté. Maintenant, écoutez bien, c'est assez incroyable. Il me dit : «Je ne veux pas prendre ton argent, t'es un trop bon gars Kenny, vraiment». Il me le répète quelques fois puis se tourne vers le commis-caissier, Dieu m'en soit témoin, ceci est totalement vrai. Il se tourne vers le commis-caissier donc, et lui dit ceci : «vous lancez une pièce et si le portier devine correctement, je ne collecterai pas les $9 400. Dans le cas contraire, Kenny me paiera ce qu'il me doit. Il m'offre une mise de $9 400 contre $0»... J'ai perdu et lui ai donné l'argent. Nous avons fait une réunion d'équipe et il en est ressorti que ma perte n'a pas été couverte.
C'est exactement ce que j'avais entendu, ils ont refusé de couvrir ta perte ?
J'ai même passé un polygraphe. Ils étaient soucieux de la situation générale, pourquoi étais-je là à miser sur le lancer d'une pièce et que la perte se chiffrait à $9 400. Nous avons eu une grosse réunion d'équipe et ils m'ont dit : «non, cela ne peut provenir de la banque de jeu, tu dois couvrir la perte avec ton argent personnel.»
Saviez-vous comment l'arnaque fonctionnait ?
Oui, je l'ai rencontré encore peu de temps après. Il s'est tenu à mon écart pour une période de temps. Étant un gros joueur, il croyait que j'avais des contacts et que je mettrais peut-être quelques mafieux à ces trousses. Il est revenu après 3-4 mois. Jusqu'à cette période de 3-4 mois, j'avais toujours la conviction d'avoir eu un avantage immense sur lui. Seulement alors j'ai su que jamais je n'avais eu aucun avantage. Il m'a expliqué comment cela fonctionnait. Cet homme avait développé son acuité visuelle au point où il pouvait à toutes fins pratiques « voir » le côté sur lequel la pièce atterrissait. Puis, lorsqu'il n'était pas trop certain il mettait son adversaire dans le doute sur son choix jusqu'au point où ce dernier demandait de lancer la pièce de nouveau. Son ratio était de 8/10 et il me confia qu'en plus, il avait eu de la chance avec moi. J'ai su plus tard qu'un autre membre de mon équipe s'était fait prendre à Atlantic City en 1979.
Que se passe-t-il avec votre film ?
Le scripte final a été complété il y a un mois. Frank Capra Jr., le producteur, m'a téléphoné il y a environ deux semaines. Il raconte que le président de Warner Bros, après avoir entendu l'histoire et vu un peu du matériel aurait dit «nous avons un autre Rocky» et «il faut faire un film avec cet homme». Puis il m'a indiqué qu'il lui reste à rencontrer le président de Columbia, le propriétaire de la 20th Century Fox et la compagnie de production du Caesars. Je sais que Caesars aimerait bien que le film soit tourné dans leur casino. Le budget est de $7.9 millions, n'incluant pas la vedette principale et le directeur. Voilà ce que je sais. Cela a été si long. Le premier scénariste choisi n'était pas la bonne personne je pense. Il nous a remis un torchon.
Ont-ils maintenant un scenario dont ils sont satisfaits ? Je sais que dans votre dernier Newletter (Déc. 1981) vous avez dit qu'un troisième scénario avait été refusé et que vous étiez de retour à la planche à dessin.
C'est maintenant un scénario complet. Je pense que c'était le septième essai.
Il vous plaît ?
Je pense que c'est moyen, mais tous ceux à qui j'ai parlé aiment cela. Je suis trop près de cette histoire, je déteste le langage utilisé. Vous savez, après avoir lu un livre 5 ou 7 fois, il faut qu'il soit exceptionnellement bon pour que vous l'aimiez encore, même si des détails en sont changés. La dernière fois je l'ai seulement feuilleté d'un œil, peut-être en suis-je vraiment trop près, il se peut que ce soit excellent.
Le film va donc paraître éventuellement ?
Si quelqu'un me disait, «Ken, mise $10 000 à savoir si le film sera fait ou pas», je miserais sur non. C'est ma façon habituelle d'évaluer les choses, en termes de oui ou non. Je serai absolument heureux si cela se produit, mais franchement surpris.
Avant de publier cette entrevue, Ken, je vais le transcrire et vous en faire parvenir une copie. S'il y a des portions que vous aimeriez modifier avant de les rendre publiques ou enlever certaines choses, vous pourrez le faire.
Vous pouvez imprimer tout ce qui a été dit ici ce soir. Les choses sont de cette façon.
Ken Uston est décédé le 19 Septembre 1987 à Paris de cause naturelle.
Réalisée par Arnold Snyder 21 Février 1983 dans l'appartement de Ken Uston à San Francisco, et traduite en Français par Monsieur G pour Blackjack-Square